Sara Fratini, le sentiment de l'instant
La peinture de Sara Fratini est une ode à la contemplation et à l’apesanteur. En équilibre sur la corde vibratile d’un monde intérieur et extérieur, elle peint l’instant suspendu, l’instant poétique, l’instant où le silence de la grâce se fait assourdissant. Froissement de papier, froissements d’ailes de papillons, d’oiseaux, d’étoffes, le support tantôt toile, tantôt cuivre semble résonner entre ses mains d’artiste. L’œil écoute…
Il écoute le bruissement de la peinture, la solitude du créateur, le dialogue qui se noue entre la peintre et son sujet, il écoute la mémoire resurgir dans la série Options au détour d’une pièce vide parcourue de lignes comme autant de cordes instrumentales, l’écho rêveur d’une enfance qui papillonne d’une œuvre à l’autre, du papillon de Venise à la Sacristie au papillon faisant affleurer aux yeux du monde le sentiment familier d’un souvenir commun.
Ses sujets picturaux « d’entre deux mondes » flirtent avec le rêve et l’esprit, une tranquillité consciente : fenêtres ouvertes et silhouettes énigmatiques dans Inside-outside, oiseaux, coquillage, arbres dans Nostalgie au premier degré, papillons, horizons, qui sont autant de réminiscences d’une âme romantique, onirique et féminine. Gaston Bachelard écrivait à propos de la rêverie poétique qu’elle avait la capacité de fondre les images entre elles dans « une intime chaleur, dans la constante douceur où baigne, en toute âme, le noyau du féminin » (1)et la peinture de Sara Fratini en est la sensible incarnation.
La femme artiste rêve tour à tour de l’épaisseur et de la transparence, du silence et de l’élégance, elle rêve mais elle contemple aussi, elle médite, elle pense les images que lui renvoie ce monde. Tout est prétexte au jeu, à la transformation, à la transmutation. Elle insuffle une âme picturale à l’humble matériau – papier – tissu – qu’elle modèle entre ses mains afin de laisser naître des « rêves fragiles d’enfant », des poupées de chiffon, des arbres ludiques mais aussi des oiseaux peu farouches dont elle immortalise l’impossible présence.
Cette âme picturale, sans doute psyché de l’artiste, trouve définitivement son incarnation dans la représentation du papillon qui parcourt à la fois son œuvre et notre inconscient collectif comme un symbole spirituel de l’âme, de l’esprit féminin, de la renaissance mais aussi de la délivrance – une délivrance prenant tout son sens dans cette recherche artistique qui chaque fois « sur le métier remet son ouvrage » afin de s’affranchir de la pesanteur en peinture et de nous emporter jusqu’« au bord de l’horizon »…
Esther Ségal
( Commissaire de l'exposition personnelle « Au bord de l’horizon » au Fonds culturel de l'Ermitage, mars - juin 2023, sous le parrainage de Rima Abdul-Malak, Ministre de la culture et de Martine Boulart, présidente du Fonds culturel de l’Ermitage 23 rue Athime Rué 92380 Garches)